Bribes de rêves d’horreur

J’ai ce bouquet de fleur dans les mains et j’arrive sous un préau. Face à moi, une petite table et deux chaises sur lesquelles sont assis deux croque-morts. Derrière eux, je vois une sorte de paravent blanc et à droite, un escalier qui mène au sous-sol. Là, quelque part, se trouve le mort à qui je viens rendre visite. Les deux croque-morts sont en costume noir mais ils n’ont pas de cravate. L’un des deux retient mon attention : affalé sur la chaise, il a l’air de s’ennuyer et il a une attitude tout à fait irrespectueuse. Je crois qu’il boit un petit verre d’alcool. Il me parle ou plutôt, je l’interroge car il y a quelque chose de tout à fait horrible dans ce coin-là et ça m’angoisse beaucoup : de l’escalier de droite, j’entends une respiration bruyante, une respiration décuplée. C’est le mort qui respire. Cependant, on me dit qu’il respire avec des machines. C’est très angoissant et je n’ose pas porter les fleurs. Je ne comprends pas qu’un mort puisse encore respirer. Je ne comprends pas pourquoi on le considère comme mort alors qu’on utilise des machines pour le faire respirer. Je me demande si le mort est conscient, vivant.

Sans transition.

La cour de ma maison d’enfance. Le sol est jonché de morceaux d’un corps découpé en rondelles. Je sais bien ce qui s’est passé : mon mari a saucissonné la femme du cardiologue de mon village. Il n’y a pas de sang. C’est un découpage très élémentaire, comme dans les dessins animés.

Juste après, voilà qu’arrive la petite fille de cette dame. Je la regarde et je me dis : « Mon dieu, qu’elle est belle ». Ses cheveux sont épais et noirs, ses grands yeux sont de la même couleur, elle a un teint clair et des joues roses. C’est vraiment une jolie petite fille, et gentille en plus : je la vois arriver vers moi avec un sourire, un vrai bon cœur, cette enfant ! Elle aussi, mon mari la coupe en deux. Il me montre le résultat : deux parties de corps dans une boîte à chaussures. Je pense que c’est du vrai gaspillage. Je ne sais plus s’il y a du sang. L’intérieur du corps est plutôt plein et noir, du sang noir coagulé peut-être mais ce n’est pas sanguinolent.

Ensuite, on s’emploie à faire disparaître le corps de la mère. On met tout dans des sacs poubelles. Dans la buanderie, je racle du jus vert. C’est une sorte de graisse verte qui a suinté du corps de la mère pendant que mon mari la découpait. Il faut effacer toutes les traces. Je me demande confusément pourquoi il a fait ça. Mais surtout, je suis très inquiète : on finira par découvrir la disparition de cette femme, on fera une enquête et j’ai excessivement peur qu’on vienne arrêter mon mari. Je réfléchis à un moyen pour empêcher qu’il ne soit soupçonné.

Sans transition.

Je me vois monter un escalier qui doit me mener à l’appartement où je vis. Mais je suis tellement fatiguée et malade que je rampe. Cet escalier, je l’escalade comme une mourante. Mes jambes ne me portent plus. J’arrive sur le palier et là, je veux me lever. Mais le plafond est beaucoup trop bas alors, je ne peux que lever la tête, qui se cogne. Je m’interroge car habituellement, je peux me tenir debout sur ce palier. Je ne parviens presque plus à bouger et je me sens prisonnière. J’essaie de pencher la tête vers l’escalier pour avoir un peu d’air. Dans ma demi-agonie, j’entends une voix d’homme qui appelle une ambulance mais ce n’est pas pour moi ; c’est pour une jeune fille de l’immeuble qui a 22 ans.  J’en aurais bien besoin aussi mais je sais qu’on ne me trouvera pas. Et ensuite, comme il arrive parfois, je me réveille mais je continue à dormir. Mon esprit se réveille mais pas mon corps. Je suis consciente d’être dans mon lit, en train de vouloir me réveiller mais je ne parviens pas à ouvrir les yeux, ni à bouger. Je voudrais me lever pourtant, pour aller travailler, je sais qu’il est temps mais impossible, mon corps ne veut pas. Alors je me dis que je suis en train de mourir et que je dois absolument agir. Et je panique et je tente de me secouer. Je suis consciente de tout ça ; si je ne me dépêche pas de me réveiller, c’est foutu. Je repense à mes tantes qui sont mortes de cancer et que j’ai vues agonisantes à l’hôpital. Et je me dis que c’est ça mourir : être conscient mais ne pas pouvoir réagir. Alors je fais un effort énorme pour ouvrir les yeux et ouf, je me réveille ! Mais mon cœur bat trop fort et j’ai envie de pleurer.

Texte paru dans AURA 106, Automne 2020. Thème : Le rêve

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